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Rencontre avec Bertrand Usclat à Bruxelles

Publié le 29/01/2019

En décembre dernier, le Cours Florent à Bruxelles a eu la joie d’accueillir Bertrand Usclat, des YES VOUS AIME, comédien, auteur et producteur.

Bertrand est issu du Conservatoire National d’Art Dramatique de Paris (Promo 2012), depuis sa sortie, multiplie les projets au théâtre, mais aussi sur youtube avec son collectif les YES VOUS AIME.

  • Peux-tu te présenter ?

Avant d’être comédien, j’ai fait une formation en sciences politiques à la Sorbonne, puis j’ai intégré le Conservatoire du 8ème arrondissement  pendant un an pour enfin intégrer le Conservatoire de Paris pendant 3 ans. Une fois sorti, j’ai travaillé sur  un spectacle puis j’ai eu l’envie de faire de la fiction sur internet. Cela m’a permis de me projeter sur le long terme.

Les plannings de théâtre se font des années à l’avance, les productions audiovisuelles se font plus rapidement : j’ai dû faire un choix. Actuellement je ne fais plus que de l’audiovisuel, mon métier a évolué, je suis devenu, producteur, monteur, mixeur, en plus d’être comédien…Ce que je faisais petit dans ma chambre n’était pas valorisé à l’époque, c’est devenu aujourd’hui un véritable atout !

Quand j’ai commencé ma chaîne il y a 5-6 ans, au début de Youtube, il y avait beaucoup de youtubeurs. Aujourd’hui,  il ne reste finalement que certains survivants : cela va vite, très vite. J’ai tiré une certaine force d’expériences heureuses et moins heureuses, mais j’ai tout misé et remisé à chaque moment important.

  • Quand tu étais élèves, tu étais déjà dans cette réflexion, dans ce mode de pensée, penser sur le long terme et  avoir une vraie stratégie ?

Oui et non, je suis un enfant geek, j’ai passé beaucoup de temps devant mon ordi à faire de la musique, j’ai lâché cela au CNSAD, j’ai travaillé des textes, des auteurs, la parole…Et puis j’y suis ensuite revenu.

J’ai ajouté mes compétences personnelles aux compétences acquises lors de ma formation théâtrale. Du coup aujourd’hui je peux faire des vidéos et des choses très mainstream tout en parlant de théâtre, de Falk Richter, de Jon Fosse

  • Comment les YES VOUS AIMES se sont-ils formés ?

En 2012, j’ai eu la chance de travailler dès ma sortie, j’ai même joué ici à Anderlecht à Bruxelles. Ça a été une super période ! Je suis passé d’étudiant à comédien « payé ». Pendant la tournée, j’avais du temps et j’ai beaucoup consommé  de vidéos sur YouTube. Comme j’ai pu le dire, il y avait beaucoup de Youtubeurs, dont certain(e)s sont devenus très connus ! Au départ ces Youtubeurs avaient suivi une formation de technicien dans l’audiovisuel. Il y avait moins d’acteurs de formation. Je me suis alors dit qu’il y avait une place à prendre. J’ai été nourri comme beaucoup aux Inconnus, aux Nuls… A des comédiens qui avaient une exigence dans le jeu et dans le propos. J’avais très envie de faire cela. L’idée était de provoquer l’accident artistique. Les Robins de bois, les Nuls, Kaamelott d’Alexandre Astier  sont des programmes qui sont sortis après des accidents. 

Le collectif YES VOUS AIME est également né d’un accident, d’une première vidéo qui a très bien fonctionnée. Nous avons rapidement trouvé ensuite notre ligne éditoriale. 

A la télévision, il y a souvent un héros positif, à la fin ce héros est transformé, meilleur qu’au début. Aux US, on parle de merveilleux… Les anglais parlent de « cringe » avec une tradition du héros qui n’évolue pas… Ce n’est pas le héros qui fait un parcours mais le spectateur. Ce qui crée une jouissance chez lui. On a pris ce parti d’avoir des personnages un peu loosers qui n’évoluent pas durant les sketchs

  • Comment fonctionnez-vous au niveau de l’organisation dans votre collectif ?

Au début on écrivait à plusieurs, on n’avait pas de budget et on avait le temps. Maintenant j’écris les dialogues. Nous avons un réalisateur et c’est très bien, on peut se concentrer sur le jeu.  Il est ingénieur de formation et a cette vertu d’être un excellent dramaturge, il a une conscience de la structure, de la fiction. En fiction, on est obligé d’avoir une structure, une fondation. Du coup je peux me consacrer à l’écriture. Nous n’avons pas assez de temps, pour nous réunir, nous voir nous devons être organisé et avoir des financements. Le financement c’est le  nerf de la guerre. Les YES VOUS AIME ne suffisent pas à nous faire vivre, on se bat contre nos agendas, et les contraintes économiques. C’est un projet de potes, mais la plateforme Youtube ne peut suffire. On est six, acteurs, auteur, réalisateur. 

  • Vous avez tout misé plusieurs fois, pourriez-vous nous parler de cela et de la peur ?

Il se trouve que  les prises de risque résident dans une volonté d’être indépendant. 

Indépendant du désir de l’autre, de l’humain… Quelque chose de propre à l’acteur qui veut être désiré. Nous avons beaucoup misé sur une structure qui nous est propre pour essayer d’être le plus indépendant possible.

Par exemple, à l’époque où je jouais au théâtre, je misais mes 30% de temps restant sur mon autoproduction. J’avais besoin d’être engagé, comme chez un psy où apparemment le fait de payer fait partie de la thérapie. Je devais ressentir la responsabilité de payer, de produire et de mettre en ligne quelque chose de personnelle. 

Est-ce qu’on doit combattre la peur ou vivre avec ? Je pense que la vraie réponse se trouve dans la question « Est-ce que je ne  vais pas regretter de ne pas l’avoir fait ? ». Je me dis que j’aurai pu économiser de nombreuses années si je n’avais pas eu peur de faire certaines choses. On a tous des angoisses, on ne se dit jamais « ah cool j’avance tranquille et serein vers la mort ».

Rétrospectivement, je ferai les choses plus vite. Mon objectif affiché maintenant, c’est de faire du cinéma, en plantant dès aujourd’hui des graines un peu partout. 

  • Tu as réalisé une parodie de Mario Bros revue par de faux frères Dardenne : les frères Barbennes ; comment as-tu abordé cette parodie très drôle au niveau de l’écriture et de l’interprétation ?

Il y a une particularité avec le jeu comique. Dans certaines productions,  le jeu de l’acteur indique et prévient le spectateur qu’il est en train de regarder quelque chose de drôle… « Attention ici vous êtes  dans une série comique »… Avec Youtube, le jeu parodique a été amplifié… et c’est dommage ! J’étais un peu attristé par ce code. Mon envie était de  JOUER et ne pas montrer qu’on JOUE. Le jouer sans jugement et y aller à fond, comme au théâtre ! Avec cette vidéo de fausse bande annonce, on a voulu croiser les frères Dardenne et … Mario Bros ! On avait envie de parodier ce cinéma social francophile, d’y mettre des moyens et de le jouer avec le cross-over des films américains sans avoir peur du jugement et d’y aller à fond ! 

  • Peut-on parler de la vidéo « ma bite » … ? Il y a quelques semaines, vous vous êtes incrustés dans l’émission de M6 « La France a un incroyable talent » ! 

Cette chanson a une histoire bizarre. Dans le thème qu’on abordait, on voulait taper là où ça gratte, là où ça fait mal… La vidéo originale est sortie il y a trois ans avant #metoo, mais on sentait le truc venir. On voulait combattre notre misogynie ordinaire. On a très vite eu conscience de notre condition de mecs privilégiés. On s’interdit par exemple que les hommes jouent des femmes, sauf en cas de performance ou autres, on sent que cette tendance est en train de bouger… Avec « ma bite » on a voulu avoir un discours progressiste, vulgaire, tout en produisant un truc hyper mainstream et efficace : un face caméra, une vidéo de moins de 2min… Le grand écart entre M6 et la comédie française !  C’est ce qu’on voulait, c’est ce qu’on recherchait. On a bossé avec beaucoup d’acteurs, notamment, Pauline Clément de YES VOUS AIME fait partie de la comédie française. Dans un futur épisode, on aura Laurent Lafitte et Cyprien par exemple.

  • Peux-tu nous parler de ta nouvelle série ?

On a voulu faire une web série à la manière de « Platane » de Eric Judor ou encore « Extras » de Ricky Gervais… On avait beaucoup fait jusqu’à présent ce qu’il ne fallait pas faire, là on s’est dit : on  va faire cela dans les règles tout en conservant notre identité. On a le sentiment que nos sketchs sont verrouillés, si les gens s’énervent, tant mieux on parle de nous. 

  • On sent derrière vos vidéos la réflexion, la prise de position, notamment dans cette vidéo « le bonheur au travail » ...

L’idée de départ, était de montrer comment un truc cool en apparence peut être un truc horrible. Pour ce genre de sketch, il y a beaucoup de discussions. On parle, on donne son point de vue. Le travail d’auteur nécessite de parler et d’échanger! Si cela ne donne pas d’histoire, on revient le lendemain. On valorise l’oisiveté, le fait de ne rien faire peut être très productif ! Oreslan en parle bien ! Robert Louis Stevenson a dit  « L’oisiveté ce n’est pas rien faire, c’est faire quelque chose qui échappe à l’idéologie de la classe dominante ». Une fois que tu transformes l’idéologie de « ne rien faire », tu peux en faire quelque chose ! 

Pour conclure, il n’y a pas de parcours typique, de chemin tout tracé une fois sorti d’une école d’art ! Il faut saisir les opportunités… et les accidents !

Un grand merci à Bertrand Usclat pour cette rencontre et pour son témoignage qui éclaire nos élèves sur les possibilités, les décisions à prendre aujourd’hui et demain !

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