
Emmanuelle
Taton
Rencontre avec EmManuelle Taton, élève de la Classe Libre Théâtre
"Le Prix Olga Horstig a été une aventure très intense et riche émotionnellement, humainement, théâtralement !"
- Qu’est-ce qui t’a donné envie de devenir comédienne ?
Jouer a toujours été synonyme d’immense bonheur. Enfant, j’avais besoin et envie de représenter d’autres existences que la mienne. Dès que je pouvais, je préparais et jouais des petites scènes avec mes amis ou devant ma famille. C’était une telle liberté, un tel partage ! Faire rire, générer des émotions ! Ça a dû commencer par ça : la joie, nécessaire, ineffable et communicative, de jouer. Et, de manière générale, ce qui m’a plu, d’abord intuitivement puis de manière consciente, et aussi en étant bouleversée par certains films ou spectacles, c’est la possibilité de donner à voir, en ayant comme outil sa voix, son corps, sa personne, des bouts d’humanité dans tout ce qu’elle a de multiple, contradictoire, fragile, ridicule et beau ; d’inviter, par la résonance des textes et des pensées, à toujours davantage d’empathie, d’humour et de poésie.
- Qu’as-tu fait avant de te lancer dans le théâtre à temps plein ?
J’ai fait des études de lettres axées sur le théâtre, j’ai passé les concours de l’enseignement et ai enseigné le français et le théâtre en collège, lycée et un peu dans le supérieur. C’était une expérience formidable et, même si ce n’était pas ma vocation, j’ai vraiment adoré. J’en garde de précieux souvenirs et reste attentive à ce qui se passe dans l’enseignement.
- Qu’est-ce qui a fait basculer ta décision ?
Même si j’ai suivi des cours de théâtre et que mes études de lettres se sont naturellement orientées vers ce domaine, je ne m’étais jamais autorisée à m’y consacrer pleinement. Je ne connaissais rien au milieu, je n’avais aucun contact, j’étais arrêtée par l’aspect onéreux des études et je manquais de confiance.
Mais au fil du temps, l’envie de me consacrer au jeu est devenue irrépressible. C’était viscéral.
En plus, pendant mes années d’enseignement, je disais souvent à mes élèves : « Vivez vos rêves, faites ce qui vous passionne vraiment, ne laissez personne choisir votre métier à votre place. » Et je me suis demandé : « Mais moi, est-ce que je fais ça ? » Ça a été un déclic. Et, même si j’adorais mes élèves, je me suis dit qu’il fallait que j’applique les beaux conseils que je me permettais de leur donner.
Pour l’anecdote : mes élèves me demandaient régulièrement : « Madame, vous êtes comédienne ? » Je répondais en riant : « Vous plaisantez ? Je passe mon temps avec vous ou alors à corriger vos copies ! » mais je les remercie d’avoir dit ces mots car, si j’espère leur avoir appris le plus possible, eux aussi m’ont beaucoup fait évoluer, et c’est toujours avec émotion que je repense à eux et que j’espère de tout cœur qu’ils s’épanouissent. Aujourd’hui, plusieurs anciens élèves me suivent et m’encouragent. J’en suis très touchée, je me sens très chanceuse.
- Comment s’est passée ton intégration au Cours Florent ?
J’ai passé une audition et on m’a proposé d’intégrer directement la deuxième année de la formation Théâtre. C’était une formidable nouvelle pour moi !
- Quels sont les enseignements techniques ou humains qui t’ont le plus marquée ?
Il y en a beaucoup ! En technique, le travail sur la respiration, le souffle et la voix est un élément qui m’a beaucoup marquée, notamment avec Jerzy Klesyk. Le fait d’aller au bout du sens, au bout de la pensée, de prévoir les inspirations, de gérer le souffle. Avec Khadija El Mahdi en masques nous avons notamment travaillé le fait d’être pleinement conscient de ce qui se passe autour de soi, et d’y être ouvert, attentif, comme l’enfant intrigué par tout ce qu’il découvre. Avec Justine Abbé en cours de Classe Libre on a par exemple travaillé sur la phonétique et la façon dont aborder tel ou tel son selon le personnage ou la situation, en prêtant attention à la musicalité de la langue. Un autre professeur, Olivier Tchang-Tchong, m’a fait réaliser (entre autres !) à quel point, comme il le dit, « le théâtre c’est de la pensée » et à quel point il faut prendre le temps de faire émerger toutes les étapes de celle de son personnage, pour servir la situation. A chaque fois, ce qui rassemblait les aspects techniques c’était d’avoir une excellente compréhension de la situation, d’y être au présent, en relation avec ses partenaires et joyeusement conscient du public.
Sur le plan humain, et ça rejoint totalement ce dernier point, j’ai notamment adoré comprendre la nécessité de la générosité et de l’écoute sur scène. D’ailleurs, si la voix est importante, les silences le sont bien sûr tout autant. N’être pas seulement agissant mais aussi et peut-être surtout ré-agissant. Avec tous mes enseignants et notamment Pauline Moulène et Céline Milliat-Baumgartner lors du cabaret de fin de 3e année, j’ai vu à quel point la confiance en ses partenaires et la liberté de création et de jeu étaient essentielles et si enthousiasmantes.
De manière globale, j’ai adoré comprendre que le travail se situerait aussi bien dans la précision que dans le lâcher-prise, la rigueur que la détente, et ce autant dans la contrainte que dans la liberté ! J’aime tous ces aspects a priori contradictoires du travail du jeu mais qui ne le sont pas vraiment, y compris le fait de se préparer pendant très longtemps et, juste avant, de se dire : ça va être de l’ici et maintenant.
- Qu’as-tu appris émotionnellement de ce parcours ?
J’ai l’impression d’avoir encore gagné en empathie, en sensibilité et en désir de raconter des histoires pleines d’humanité et de nuances. Beaucoup de moments m’ont bouleversée, notamment le fait de regarder mes camarades, leurs propositions, leurs prises de risque, leur audace, leur évolution singulière. Et j’ai appris que ce qui était parfois le plus émouvant pour le public c’était en fait lorsqu’on lutte pour retenir l’émotion et les larmes.
- Quels moments marquants retiens-tu de ces années ?
Là encore, il y en a tellement ! Un moment fort a été le cabaret de fin de troisième année. Il y avait vraiment un esprit de troupe, une ambiance généreuse et festive. J’ai rencontré des camarades de comédie musicale que je trouve absolument époustouflants. C’était un projet très humain aussi. Nous avons notamment travaillé à partir d’interviews de personnes extérieures à qui nous avions demandé : « Quelle chanson a marqué un événement de votre vie et pourquoi ? » Ensuite, nous restituions leurs réponses sur le plateau, en respectant leur respiration et leur rythme, puis nous chantions la chanson en question. C’était très émouvant.
La Nuit Florent l’année dernière a aussi été une expérience formidable ! L’intensité du rythme de création – préparation d’un show au théâtre Mogador en six semaines – et le fait encore une fois d’être en équipe, m’ont énormément plu !
Et, nous y reviendrons peut-être mais, évidemment : le Prix Olga Horstig !
Ces années m’ont vraiment permis de faire des rencontres extraordinaires.
- Tu es aujourd’hui en Classe Libre, parle-nous de cette expérience.
J’avais déjà tenté le concours une première fois en deuxième année, mais sans avoir une vision claire de ce que je voulais proposer. En troisième année, en 2024, j’ai décidé de retenter l’audition. J’étais plus au fait de ce qui me parlait en termes d’univers, de propos, de mises en scène (je suis énormément allée au théâtre à partir du milieu de la deuxième année).
J’ai été acceptée, directement en deuxième année ! C’était une double surprise, une double joie !
Mes magnifiques camarades de Classe Libre 44 m’ont accueillie très chaleureusement, très simplement, très généreusement. Je suis ravie et honorée. D’autant que je suis arrivée en décalé puisque le Prix Olga Horstig a duré jusque début octobre ; j’ai donc fait ma rentrée en Classe Libre seulement après, il y a quelques semaines à peine. Je peux en tout cas d’ores et déjà dire que nous passons une année assez fantastique et préparons notamment un projet en autonomie que nous jouerons au printemps, écrit par des élèves de la classe qui forcent particulièrement l’admiration par leur maturité et leur engagement. Par ailleurs, nous avons notamment des séances avec différents intervenants extérieurs exceptionnels comme Volodia Serre qui nous a mis en scène pour Même si le monde meurt de Laurent Gaudé, Sébastien Pouderoux de la Comédie-Française avec qui nous travaillerons en décembre autour de la direction d’acteur à partir de la pièce de H. Ibsen Un ennemi du peuple et Igor Mendjisky avec qui nous préparerons le spectacle de sortie qui aura lieu au musée d’Orsay !
- Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui rejoint le Cours Florent ?
J’ai l’impression qu’il y a autant de façons de vivre le Cours Florent qu’il y a d’élèves. Peut-être que le principal conseil que je pourrais donner c’est justement de parcourir cette aventure à sa manière. Selon son parcours, le moment où l’on y entre, selon sa sensibilité, les sujets qui importent, s’ouvrir à sa façon à tous les enseignements proposés. Etre curieux et pleinement disponible : disponible à divers types de pédagogies, d’approches, de techniques (et voir lesquelles nous parlent le plus), à divers textes, rôles, histoires, registres, partenaires de jeu.
Etre force de proposition, s’investir au maximum. Ne pas avoir peur d’essayer, être toujours en recherche, aller vers la difficulté, trouver l’amusement. Lire beaucoup, aller le plus possible au cinéma et au théâtre (bien souvent il y a des tarifs réduits liés à l’âge ou au statut d’élève d’école de théâtre, et le Cours Florent fait régulièrement bénéficier d’invitations ou de tarifs préférentiels). Se nourrir et dessiner son univers ; les exercices de cartes blanches et de parcours libres permettent notamment d’explorer tout ça. Ne pas hésiter à participer à tous les rendez-vous que l’école propose (concours d’éloquence, Florent Impro Tour, Prix Florent Image, Nuit Florent, Masterclasses…), à aller voir beaucoup de Travaux de Fin d’Etudes, à discuter avec des élèves d’autres promotions, d’autres cursus. Commencer à créer des projets avec ses camarades. Préparer ensemble « l’après-école » avec amusement et conviction.
Pour résumer, je dirais qu’il faut peut-être allier disponibilité, rigueur et singularité – et joie, toujours !
- As-tu déjà eu des expériences professionnelles en dehors du Cours Florent ?
Oui, quelques-unes : j’ai joué dans Je reviendrai - Antigone de Lorena Bénichou et Tumultes de Marion Aubert à la Comédie Saint-Michel, avec la Compagnie de l’Autre Langue, dans Mêlée ouverte, un spectacle racontant l'histoire du rugby en commedia dell'arte, avec la Compagnie Latinomania au Théâtre de l'Echo, et j’ai tourné dans plusieurs courts-métrages. J’ai aussi rencontré l’équipe des Chiens de Navarre dans le cadre du spectacle La Vie est une fête, à Juvisy-sur-Orge puis au théâtre des Bouffes du Nord, et ai eu la chance ensuite de participer à un laboratoire de création avec toute la troupe. Quel bonheur ! j’étais très honorée.
- Le Prix Olga Horstig a été une étape importante. Comment as-tu vécu cette expérience ?
J’ai absolument adoré ! C’était magique ! Lorsque j’ai reçu l’e-mail de sélection, j’étais sur un petit nuage. Travailler dans un cadre aussi stimulant est une chance incroyable. Du 20 août au 5 octobre, nous avons pour ainsi dire vécu tous ensemble. Ça a été une aventure très, très intense et riche émotionnellement, humainement, théâtralement !
Justine Abbé, qui dirigeait le projet, a instauré d’emblée une atmosphère à la fois très joyeuse et très rigoureuse. Elle a tout de suite précisé qu’elle souhaitait qu’on fasse troupe, qu’on s’encourage, qu’on soit force de proposition et qu’on s’amuse ! Les thèmes abordés (place de village, premières amours, bals) nous parlaient et nous ont placés dans un cadre de travail très riche, à la fois très festif et très émouvant, où l’on s’est découvert les uns les autres avec beaucoup de sensibilité et de confiance. Les étapes de travail étaient toutes très stimulantes, que ce soient les périodes d’improvisation pour explorer les thématiques, les cartes blanches, les essais de lectures de scènes contemporaines, l’écriture de plateau, les répétitions des moments collectifs en chant et danse (rien que d’y penser j’ai les airs en tête et l’envie de danser avec mes camarades !) ou encore les filages.
Quand on est arrivés au théâtre des Bouffes du Nord, on avait déjà conscience de l’immense chance qu’on avait mais à ce moment-là on l’a encore mieux mesurée. Les représentations ont toutes été absolument magiques, les publics étaient incroyables d’écoute et d’investissement joyeux. Tout au long de cette aventure, je crois que nous avons formé une équipe pleine d’amour, de considération, d’émulation, d’enthousiasme et d’humour. Nous nous sommes portés les uns les autres (et cinq camarades m’ont d’ailleurs littéralement portée pour le « Dirty dancing », merci encore à eux !). Je suis extrêmement reconnaissante envers Justine Abbé, toutes les équipes – celles du Cours Florent et celles du théâtre des Bouffes du Nord –, mes génialissimes camarades – avec une dédicace particulière à Pablo Bruneau et Bryan Schmitt, mes très chers partenaires, et à Tom Rey mon acolyte lauréat – et tous les formidables publics et jurys, pour cette expérience qui restera gravée dans ma mémoire et dans mon cœur.
- Quels sont tes projets pour l’avenir ?
J’aimerais explorer aussi bien le théâtre que le cinéma, participer à des projets empreints de joie, de générosité et de panache, qui s’adresseront à des publics variés et où il y aura peut-être du chant, de la musique, de la danse ! Les univers qui me parlent peuvent aussi bien être décalés et loufoques qu’éminemment réalistes et engagés – ce qui n’est d’ailleurs pas incompatible ! J’aimerais plonger dans des rôles appartenant à divers registres (j’adore aussi bien Bérénice, Toinette, Ysé, Nina, Cléopâtre, Nora, Célimène, Antoinette…). Et l’un des textes qui représentent le mieux ce qui m’inspire, c’est la fin des Possédés d’Illfurth de Lionel Lingelser et Yann Verburgh : « Tu chanteras pour ceux qui ne peuvent pas chanter, tu riras pour ceux qui ne peuvent pas rire, tu pleureras pour ceux qui ne peuvent pas pleurer »…
J’ai pour le moment de jolis projets (en cinéma, théâtre et musique), notamment avec mes camarades ayant déjà fini le Cours Florent ou y étant toujours, je vais continuer à travailler toujours davantage, et à semer des graines comme on dit, en laissant bien sûr aussi une place aux joyeux hasards !
A lire aussi

PRIX OLGA HORSTIG 2024 AUX BOUFFES DU NORD
Le Prix Olga Horstig 2024, présidé cette année par Cristiana Reali, a une nouvelle fois illuminé le Théâtre des Bouffes du Nord en ce début d’octobre....
En savoir plus
Le Cours Florent au Musée d'Orsay
Quand le théâtre rencontre la magie des légendes nordiques : la collaboration artistique enchantée du Cours Florent et du Musée d’Orsay. ...
En savoir plus