Portrait de Damien Chardonnet
Portrait

Damien
Chardonnet

Je ne vois pas pourquoi dans une Tragédie il n’y aurait pas moins d’actualité que dans Star Wars. 

Campus Bruxelles
Année
professeur

Damien Chardonnet est un ancien élève de la Formation d’acteur du Cours Florent. Il a commencé son parcours professionnel directement à la sortie de l’école, il y a plus de dix ans. Il a créé une compagnie avec ses camarades de classe et ils ont monté plusieurs spectacles ensemble.

En parallèle, il a continué ses études à l’université et a commencé à y enseigner la pratique et la théorie. En tant que metteur en scène et dramaturge, il a monté ou participé à la création d'une quinzaine de spectacles en parallèle de son parcours de pédagogue. 

Il est depuis 2013 chargé de cours au Cours Florent à Bruxelles.

  • En quoi Andromaque de Racine résonne encore avec nos enjeux contemporains ?

A la relecture de l’œuvre, plusieurs choses m’ont marquées : d’abord la question de l’héritage.  J’ai constaté que tous les protagonistes ne sont pas des héros de premiers plans, comme peuvent l’être les grands personnages de la guerre de Troie, mais ils sont ceux de la génération d’après, les enfants de la guerre de Troie : Oreste le fils d’Agamemnon, Pyrrhus le fils d’Achille, Hermione fille de Ménélas et d’Hélène. Andromaque n’est pas une fille de, mais elle hérite du sort d’Hector.

La deuxième chose, c’est la question des territoires. Chaque personnage appartient à un territoire différent : Troyes, Athènes, Spartes et Epire. Qu’est ce qui les réunissait alors ? Et c’est le troisième point qui m’a intéressé ; c’est qu’à la différence des autres tragédies, il n’y a pas dans Andromaque ce que j’appelle un conflit unificateur. Par exemple, dans Iphigénie, la question c’est faut-il tuer ou non Iphigénie ; dans Phèdre, doit-elle ou non céder à son amour pour Hippolyte… On a à chaque fois une question autour de laquelle les personnages doivent s’organiser. Dans Andromaque, à mon sens, il n’y en a pas, vu que chaque protagoniste est son propre sujet. 

  • Il y a quelque chose de l’ordre de l’universel dans le théâtre classique ?

S’il y a un écho universel, il n’est plus immédiatement ou facilement accessible au spectateur contemporain. Et pourtant ces tragédies, elles-mêmes inspirées des grands canevas dramatiques des tragédies de l’Antiquité grecque, contiennent en germe les problématiques majeures de l’humanité auxquelles on est toujours confronté aujourd’hui. La question de l’héritage, du pouvoir, de la richesse... Star Wars est dans les mêmes problématiques. Je ne vois pas pourquoi dans une Tragédie il n’y aurait pas moins d’actualité que dans Star Wars. On est dans un endroit de la fiction, le metteur en scène doit réussir à ouvrir des portes de lecture pour permettre au spectateur de reconnecter la tragédie avec des enjeux contemporains.

  • Tu parles de transmission, d’héritage. Une telle œuvre en est un pour un public très large. Est-ce facile à adapter ?

Un choix évident, oui, mais certainement pas facile. Racine appartient à une sorte de panthéon littéraire, qu’on a tous traversé à l’école, et autour duquel s’est construit une longue série d’horizons d’attente de la part du public. Les spectateurs arrivent avec une idée plus ou moins conçue de ce qu’ils vont voir. Soit Racine est un auteur dont on ne peut pas dire du mal, soit Racine est le représentant d’une sorte d’excellence absolue de l’écriture dramatique française, et pour qui on a une attente de puriste vis-à-vis de la présentation. C’est ce qui rend ce travail inquiétant. Et finalement c’est probablement pourquoi peu de metteur en scène s’attaquent encore à ce type d’œuvre. Comment traiter cette matière si technique, parfois hermétique a priori ? C’est une sorte de défi ! 

  • Comment s’organise-t-on pour monter un classique : on le monte dans une perspective classique ou une perspective contemporaine ? 

Selon moi toutes les mises en scène sont des mises en scène contemporaines ; l’idée même de classicisme est un fantasme ; elle a été écrite a posteriori des œuvres qu’elle prétend désigner. Il y a aussi beaucoup cette question de la fidélité à ce qui aurait été l’œuvre et l’esprit de Racine. Je l’ai monté effectivement avec des costumes qui sont contemporains, de la même manière que Racine lorsqu’il écrit sa pièce, la voit être montée avec des acteurs qui portent des habits ni grecs ni antiques, mais avec des habits de cours du XVIIème  siècle. Sa pièce est déjà inscrite dans une actualité esthétique qui correspond à son temps. Devons-nous nous arrêter à la contemporanéité du XVIIème siècle, ou adapter pour rendre l’œuvre accessible aux spectateurs aujourd’hui ?

  • Comment as-tu fait ces choix d’adaptation de l’œuvre ?

La question de l’adaptation est importante. On peut changer l’œuvre, en lui donnant une autre forme, en réécrivant le texte par exemple. Je n’ai pas fait ce choix-là. Je n’adapte pas Racine, je le monte avec mes yeux, avec l’époque qui est la mienne. Même les costumes : on peut juste dire que ce ne sont pas des costumes du XVIIème siècle. Finalement Andromaque est dans une grande robe noire, elle n’est pas particulièrement contemporaine. Pyrrhus a un pantalon noir et une sorte de kimono, est ce très moderne ? Je ne les ai pas habillé en me disant je veux des costumes de 2018.

  • Quel a été le calendrier de création de ce spectacle ?

L’idée a germé il y a 4 ans. Ce qui a pris le plus de temps, c’est de réunir les conditions de cette création Le temps de convaincre les partenaires de soutenir le projet. C’est la première fois que je monte un spectacle avec le soutien des institutions, de scènes nationales. Il faut avoir le souffle long, cela peut créer de la solitude. Une fois le processus lancé, on est sur sept semaines de répétitions. C’est un marathon. 

Il faut bien réfléchir à son projet et au discours qui va s’y rapporter. Il faut constituer une équipe d’artistes. Il faut être prêt à délivrer une proposition, si l’occasion se présente. Le premier partenaire à m’avoir suivi, c’est la Scène Nationale le Phénix à Valenciennes, qui a organisé une rencontre, une lecture en invitant d’autres partenaires potentiels. Ça n’a pas marché ! On a changé de méthode, je suis parti faire le tour de France des théâtres, accompagné par le Phénix et une chargée de production. Au fur et à mesure des acteurs qui s’engageaient, les institutions ont suivis le projet, dans un programme aussi d’accompagnement sur les territoires. A partir de là, des professionnels se sont déplacés pour venir voir le travail.

  • Tu es aussi passé par un appel aux dons sur une plateforme collaborative.

Un appel aux dons est une manière pour le public de soutenir un projet qu’il a envie de voir. L’économie du spectacle vivant étant ce qu’elle est, quand le spectacle commence on n’a pas fini de constituer tout son budget. Ce n’est pas comme au cinéma, où le budget d’un film est bouclé quand le film sort en salle. 

  • Il y a de la vidéo dans le spectacle. Comment cela donne-t-il du sens ?  

Des spectateurs m’ont donné de nombreuses significations, ils y ont vu telle ou telle chose. Je n’ai pas vraiment envie de répondre, de dire si cela raconte ci ou ça. C’est un territoire possible pour le spectateur, pour imaginer, avec la scène, la situation. Ça ouvre des lectures au même titre que le texte, le décor, les acteurs en scène. La musique et la vidéo sont des outils permis par les technologies dont on dispose aujourd’hui. Cela est aussi séduisant que dangereux. Cela sert au sens du spectacle, cela soutien dans les intentions certes, mais ça peut prendre trop de place dans un spectacle. Ont été créées beaucoup de choses, et on a fait gros travail de sélection pendant les répétitions. 

  • Quelles est la principale différence entre diriger des comédiens et diriger des élèves ?

Un metteur en scène n’est pas un enseignant. Je n’apprends pas aux acteurs de mon spectacle à jouer, j’essaie de leur faire comprendre ce que j’ai envie d’obtenir, eux savent quoi faire. 

J’ai travaillé deux mois l’Alexandrin avec une classe de première année de la formation d''acteur. La première chose que j’ai essayé de faire est de l’ordre de la technique : il s’agissait de leur apprendre à dire correctement un Alexandrin. Un acteur professionnel sait déjà quoi faire, et nous travaillons ensemble sur les contraintes.

La relation se construit dans les deux cas autour du dialogue, mais pas de la même nature.

  • Tu as été absent pendant quasi trois mois pour les répétitions et la tournée d’Andromaque. Comment s’est passé ton retour à l’école ?

Les projets sont complètement épuisants et en même temps très stimulant. Je suis revenu nourris, mais avec beaucoup d’appétit ! Je suis particulièrement content de reprendre de suite après la tournée d’Andromaque, sans faire de pause. D’autant plus avec l’échéance Parcours de rôle et les élèves deuxième année, qui est la première fois où on confronte les élèves à la question de la cohérence et du discours autour d’un rôle, et de la mise e scène. Revenir à cette échelle, après les énormes enjeux de mon projet personnel, est vraiment agréable.

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